vendredi 5 août 2016

Du saumon servi à un client allergique - VS - Les droits et libertés

Les faits :

Le 29 mai dernier,  M Simon-Pierre Canuel, un résident de Gatineau, commande un tartare de bœuf au restaurant le « Tapageur » à Sherbrooke.  Lorsque le serveur lui apporte son plat, le client ne se méfie pas. L'éclairage est tamisé et, au dire du client, il avale une première bouchée pour se rendre compte qu'il s'agit de saumon.

« J'ai informé mon conjoint qui est médecin résident. Il m'a dit qu'il fallait aller à l'hôpital. On a avisé le serveur, qui s'est excusé en me disant qu'il allait m'apporter du bœuf. C'est à ce moment que j'ai commencé ma réaction anaphylactique et à avoir des difficultés respiratoires. »
L'homme n'avait pas son auto-injecteur d'adrénaline, mieux connu sous le nom d'Épipen, sur lui. « J'étais très fatigué. J'avais eu une journée épuisante. Malheureusement, je l'avais oublié dans l'auto. »

Mon conjoint a composé le 9-1-1 et en moins de deux minutes, les pompiers étaient sur les lieux et ils m'ont administré la médication»
M. Canuel a été hospitalisé aux soins intensifs du Centre Hospitalier Universitaire de Sherbrooke (CHUS) pour traiter sa grave réaction allergique.

« J'ai fait un arrêt cardio-respiratoire le lendemain. Ça s'est produit sur une réaction de rebond, c'est une deuxième réaction allergique à la suite de la première. J'ai frôlé la mort. »
Cet incident aurait pu en rester là si ce n’est qu’après avoir discuté avec un ami avocat, M. Canuel a décidé de porter plainte au service de police de Sherbrooke le 21 juillet dernier, deux mois après l’incident.

À la suite de quoi, le serveur a été arrêté et des accusations de négligence criminelle pourraient être déposées contre lui.  Du jamais vue auparavant.
Que dit la loi?
Selon le porte-parole de la police, « la négligence criminelle, c'est que quiconque, soit en faisant quelque chose ou en omettant de faire quelque chose qui est dans son devoir d'accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie ou de la sécurité d'autrui. »

Qui est responsable?
Au cours d’une interview donnée sur les ondes de Radio-Canada, Simon Roy, criminaliste, professeur de droit à l’Université de Sherbrooke nous dit : « D’après la version de la victime, il y aurait matière à accusation contre le serveur.  La victime aurait dit très clairement,  Écoutez, moi je suis allergique à certains poissons, certains fruits de mer.  Il ne faut surtout pas qu’il y en ait. »  Toujours aux dires de la victime « le serveur était plus ou moins attentif. Il est même allé prendre un peu d’alcool avec des amis et il serait revenu avec du poisson. »

Comment se défendre d’une accusation comme celle-là?
Toujours selon Me Roy, « pour le serveur, son rôle sera d’atténuer les faits, le client ne me l’avait pas dit ou ne me l’avait pas dit clairement. Ou de mettre la faute sur quelqu’un d’autre. C’est le cuisinier, il n’a pas fait son travail. C’est le client qui aurait dû s’en apercevoir.  Mais cela fonctionne plus ou moins bien parce que le serveur quand il amène l’assiette à la table, s’il ne voit pas ce qu’il sert, ça devient difficile. Le serveur doit connaitre la différence au moins d’apparence entre le tartare de bœuf et de saumon. S’il sert un tartare de saumon pensant que c’est un tartare de bœuf ça devient problématique.  Et là il y aura des questions comme : est-ce que c’était très achalandé ce soir-là? Ou d’autres facteurs qui peuvent expliquer le geste?
Mais la question est : qu’est-ce qu’aurait fait une personne raisonnable dans les circonstances?

Me Roy poursuit en disant « c’est la même chose si vous recevez quelqu’un chez vous pour le souper, la personne vous dit je suis très allergique aux noix, il ne faut surtout pas que j’en mange, et vous dite, il n’y a pas de problème c’est de la pâte d’amende, prenez en. Ça ne fonctionne pas. » Dans son exemple Me Roy semble blâmer l’hôte de ne pas savoir que la pâte d’amende et faite de noix alors que l’invité, lui, n’a semble-t-il pas à le savoir?  Pour moi c’est illogique.  Sans exclure la responsabilité de l’hôte, il me semble que lorsqu'on est allergique à quelque chose, c’est d’abord à nous qu’Il appartient de se renseigner. Ainsi l’invité aurait pu dire à son hôte que la pâte d’amende était effectivement faite de noix.
Pour le restaurant, des accusations criminelles pourraient aussi être portées, mais il faudrait  démontrer que le restaurant n’a pas pris les mesures nécessaires pour s’assurer que ses employés font un bon travail.
Voilà, la table est mise, sans jeu de mot, vous avez maintenant tous les faits connus. À vous de juger.  Quant à moi, voici ce que j'en pense.
Tout d’abord, c’est un très regrettable incident et je compati avec M Simon-Pierre Canuel.

Par contre, avant de dire que le serveur est responsable de tous les malheurs du client, essayons de voir aussi quelles sont les responsabilités du plaignant.
Cette histoire vient me chercher, je vous l’avoue, car j’ai moi-même œuvré dans le domaine de la restauration pendant 15 ans, dans 4 pays, sur deux continents. Et comme vous pouvez vous imaginer j’en aie vue des vertes et des pas mures. Et des accidents, j’en ai vue aussi, comme de renverser quelque chose de chaud sur un client, mais soyons clair c’étaient des accidents, rien d’intentionnel.
Au sujet du personnel de restauration, il y a ce que j’appelais, à l’époque, des porteurs d’assiette (je n’en dirais pas plus à leur sujet, vous m’avez compris) et des serveurs ou garçon de table, des professionnels. Des gens qui ont appris leur métier en passant soit par l’école hôtelière ou en apprenant sur le tas, mais qui bien formés deviennent très vites compétents.  Les serveurs qui durent sont en général des gens efficaces, responsables, avec de l’entregent.  Leur but premier est de vous faire passer un agréable moment. Ces serveurs, vous les reconnaissez à leur professionnalisme et la plupart des gens sont enclins à mieux les récompenser lorsqu’on leur présente l’addition.
Je ne sais pas à quel groupe appartient le serveur dont il est question ici mais quoi qu’il en soit je compati aussi avec lui.  Ce malheureux accident n’a pas dû affecter que le client, j’en suis sûr. Et c’est sans parler du fait d’être arrêté et qu’il pourrait être accusé de négligence criminelle.  Son avenir est pour le moins incertain, car il pourrait être contraint de quitter son emploi et peut-être aussi son métier.  C’est pourquoi avant de l’accabler de tous les tords, je m’interroge sur les motifs réels du client à vouloir poursuivre au criminel.
Et parlant du client, M Simon-Pierre Canuel, pourquoi n’a-t-il pas porté plainte au sortir de l’hôpital, quand il a réalisé qu’il avait failli mourir?  Que lui a dit son ami l’avocat, deux mois après l’incident pour qu’il porte plainte.  Vouloir mettre le serveur en prison pour une possible négligence (ça reste à prouver, c’était peut-être une erreur), ne changera rien à ce qui s’est passé.  J’espère que ça n’est pas dans l’espoir de faire de l’argent, comme on le voit si souvent aux Etats-Unis.

M Canuel prétend que le serveur était plus ou moins attentif au moment où il lui a donné sa commande et ses instructions relatives à ses allergies.  À moins de bien connaitre quelqu’un il est très difficile d’affirmer que celui-ci est distrait.  Sauf peut-être si vous êtes, disons, psychologue ou que vous êtes placé dans une situation particulière.   Et d’ajouter que le serveur est même allé prendre un peu d’alcool avec des amis.  Un serveur prendre de l’alcool avec ses amis pendant son service? Cela impliquerait que la direction de l’établissement laisse faire.  Permettez-moi d’en douter.  Personnellement, je n’ai jamais assisté à ce genre de comportement de la part d’un serveur, non plus que de la direction d’un restaurant.  Pour ce qui est de rire avec les clients, l’entregent, la gaité partagée avec les clients, font partie intégrante du travail de serveur.
M Canuel nous dit aussi que lorsque le serveur lui a apporté son plat il faisait sombre, et il ne s’est pas méfié de ce qu’on lui avait servi. Ce n’est qu’après avoir avalé une première bouchée qu’il s’est rendu compte qu'il s'agissait de saumon.  Je trouve M Canuel drôlement confiant pour quelqu’un d’aussi vulnérable à une allergie alimentaire.
Je ne suis pas allergique moi-même, malgré tout je prends le temps de regarder ce qu’on m’a servi avant d’attaquer mon repas.  Ne serait-ce que pour apprécier la présentation et humer l’odeur qui s’en dégage. Cela fait partie des plaisirs de table. Qui plus est, si je suis en bonne compagnie (c’était le cas de M Canuel), je ne manque pas d’échanger avec mes compagnons de table, sur ce que chacun a reçu.

M Canuel  nous dit  qu’il était très fatigué, qu’il avait eu une journée épuisante et que malheureusement, il avait oublié son épipen  dans l'auto.  Malgré sa journée épuisante, il n’a pas oublié d’informé le serveur de ses allergies.  Surtout je ne peux pas m’empêcher d’être étonné que les instructions données au serveur ne lui ont pas fait penser qu’il n’avait pas son épipen avec lui.  Et son conjoint médecin, ne pouvait- il pas aller chercher l’épipen dans l’auto, en même temps ou après avoir composé le 9-1-1?  D’autant qu’il y avait, partait-il, un autre médecin dans la salle du resto.
À la lumière des faits et des questions que cela suscite, la justice déterminera la part de responsabilité des parties prenantes.  On peut aussi prévoir que cela apportera des correctifs, afin de savoir comment intervenir efficacement, si une telle situation devait se reproduire.  Il y a en effet de plus en plus de gens qui sont affecté d’allergies.  Parmi les recommandations il est probable qu’on oblige les restaurateurs à avoir un-auto injecteur d’adrénaline dans leur trousse de premiers soins.  Ce qui amènera, fort probablement aussi, certains restaurateurs à obliger les clients allergiques à leur signer une décharge, ou refuser de les servir en cas de refus.  Pour ce qui est de refuser, il faut préciser que: 
La charte des droits et libertés de la personne stipule au point 15 : « Nul ne peut, par discrimination, empêcher autrui d’avoir accès aux moyens de transport ou aux lieux publics, tels que les établissements commerciaux, hôtels, restaurant, théâtres, cinémas, parcs, terrains de camping et de caravaning et, d’y obtenir des biens et services qui y sont disponibles. » c.6, a.15. Ce qui signifie qu’on ne peut pas traiter une personne différemment parce qu’elle a un handicap et les tribunaux ont notamment reconnu que les allergies sont considérées comme un handicap protégé par la charte.  Finalement, une prise de conscience des uns et des autres sur les droits et responsabilités de chacun dans une telle situation.

Conclusions :

C’est bien beau de dire « c’est mon droit. » Combien de fois entendons-nous ces mots prononcés en vertu de « La Charte des droits et libertés »? À ton oublié que chaque droit s’accompagne d’un devoir?  La liberté s’arrête là où commence celle des autres. Ou en encore, comme disait Victor Hugo, en 1876 « Tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité. »  Il convient donc d'utiliser un peu de bon sens avant de prétendre à tous les droits sans égard à ce qui en découle.
L’exemple de M Simon-Pierre Canuel est typique, il fait porter tout le poids de la responsabilité sur le serveur.  Mais lui-même, n’a-t-il pas été insouciant, négligent, téméraire?

Si l’on revient à ce qu’a dit le porte-parole de la police, « la négligence criminelle, c'est que quiconque, soit en faisant quelque chose ou en omettant de faire quelque chose qui est dans son devoir d'accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie ou de la sécurité d'autrui. »
À mon avis on pourrait le dire du client.  En ayant pas son Épipen sur lui il fait montre d’une insouciance, déréglée ou téméraire à l’égard de sa propre vie. De même que son conjoint médecin, en omettant de courir immédiatement, jusqu’à la voiture, chercher l’Épipen et revenir ensuite administrer les soins d’usage. Si le conjoint avait été monsieur tout le monde, et que pris au dépourvu il ne sache pas quoi faire on aurait compris.  Mais il s’agit d’un médecin, un professionnel de la santé.  Ne rien faire ou presque est inadmissible.  Tout ce qu’il a fait, semble-t-il, a été de composer 9-1-1 et attendre les services d’urgence.

Selon François Meunier, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l'ARQ « Lorsqu’une personne a des allergies alimentaires, elle doit prendre toutes les précautions nécessaires pour sa santé. Elle doit avoir son Épipen et doit s’assurer que la nourriture qu’elle a dans son assiette est bien ce qu’elle a commandée. »
En effet, qui était mieux placé que M Simon-Pierre Canuel pour prendre soin de sa santé? Et après lui, son conjoint médecin.  N’est-il pas dans l’ordre établi des couples de veiller l’un sur l’autre?  Il est difficile d'imaginer que M Canuel ignorait les risques qu’il encourait, tout comme son conjoint, en tant que médecin.

M Canuel dit, à juste titre, «Ce n'est pas parce qu'on vit avec une allergie qu'on doit être cloîtré à la maison. On a le droit de vivre, de se présenter dans des restaurants et de manger».  Effectivement mais la prudence la plus élémentaire aurait été de jeter un coup d’œil dans l’assiette, pour voir ce qu’elle contenait, au lieu de s’en remettre aveuglément à un serveur dans un restaurant quelconque.

Mise à jour du 13-09-2016.  Pas d’accusations criminelles contre le serveur

Une nouvelle de Sherbrooke parue, dans le journal de Montréal, nous apprend qu’aucune accusation criminelle ne sera portée contre le serveur qui avait servi un tartare de saumon au lieu d’un tartare de bœuf, à un client allergique. 

Le bon sens à prévalu.

Il y a tout de même des leçons à tirer de cet incident qui, rappelons-le, a failli causer la mort.
Les restaurateurs devraient se prémunir d’un Épipen en plus de former le personnel et établir un protocole d’intervention.
Le personnel aux tables et en cuisine devrait être attentif en tout temps. L’insouciance peut causer la mort.

Les clients allergiques, peu importe les circonstances, devraient toujours avoir leur Épipen à portée de la main.  Et au restaurant, être d’autant plus vigilant de ce qu’on leur sert.
Allergies Québec - Infos et conseils
 
Arrêté pour avoir servi un tartare de saumon à un client allergique
Du saumon servi à un homme allergique, le serveur arrêté

(p.v.727)